Avant de commencer, je voudrais souligner que c'est une courageuse démarche de ta part que de lancer ce topic afin de recevoir les critiques et impressions de tes joueurs. Tous les MJ ne sont pas prêts à en faire de même et rares sont ceux qui se remettent en question en fin de scénario et demandent leur avis aux joueurs par la suite.
En ce qui me concerne, j'ai été agréablement surprise du thème de ton one-shot, pour le moins audacieux. Le thème de la Shoah est encore douloureux dans les mémoires collectives. Il s'agit là du degré suprême en matière de nettoyage ethnique et de violence et je pense que les joueurs ont eu du mal, à certains moment, à se glisser dans la peau d'un juif victime de rafle.
Le thème pose déjà problème en littérature, avec cette fameuse problématique de savoir comment dire, comment écrire l'indicible horreur des camps ? Tu t'es attaqué à quelque chose de monstrueux, avec une ambiance quasi-impossible à retranscrire. L'exercice était d'autant plus difficile pour toi que tu étais en pleine improvisation, il y a donc à certains moments un manque de retranscription.
Il est à noter pour ceux qui nous lisent et qui n'ont pas participé à la partie que nous ignorions le sujet de ce one-shot, auquel Cactus avait renoncé dans un premier temps au profit d'un scénario...plus classique, dirons-nous.
La rafle
La rafle dont nous sommes victimes en début de partie est habilement menée dans l'ensemble. Pris au piège dans un immeuble n'ayant pour échappatoire qu'une cour en forme de U, tu as su à la fois nous donner la sensation d'être fichus, tout en entretenant parfois en nous le fol espoir de pouvoir s'échapper. Ce que j'ai particulièrement apprécié durant la rafle, à titre personnel, c'est mon jeune voisin, Simon.
Tu t'en es peut être pas rendu compte mais une fois que j'ai compris que nous étions des juifs et que des nazis venaient nous arrêter, j'ai eu un réflexe de distanciation vis-à-vis de mon personnage. Sans jusqu'à aller parler de métajeu, j'ai eu des réflexes de protection morale anormaux pour quelqu'un victime d'une rafle (chercher à simuler ma fuite avant qu'ils ne fouillent mon appartement, ou encore sortir les mais dans les poches en sifflotant "saletés de juifs" pour me faire passer pour un collaborateur...). Tu vas me dire : mais qu'est-ce que Simon a à voir là dedans ? Et bien, simplement, Simon a stimulé mon pathos, faisant appel à mes sentiments les plus humains (compassion, culpabilité, aussi...). Je ne suis pas venue au secours de sa mère que j'ai entendu crié et j'ai préféré rester caché dans ma buanderie. Lorsque je suis sortie, l'air de rien, de mon appart, et que je l'ai vu, pleurant au fond du couloir sur le corps de sa mère, ça m'a atteinte. Tu m'as posée un problème moral qui a permis mon immersion de manière intense durant quelques minutes. Le fait de le revoir par la suite, à divers endroits (montée du camion, gymnase...), ça m'a fait penser à la
Liste de Schindler.
Je me souviens bien de ce film, où tout du long, de manière éparse, on voit en arrière plan une petite fille, habillée d'un manteau rouge, dernier lambeau d'innocence dans un contexte où la violence fait rage et seule la survie compte. On l'observe donc subir, de même que Simon, les épreuves de déshumanisation une à une, jusqu'à ce que le spectateur, empli d'effroi, ne retrouve d'elle que son manteau. Il y avait quelque chose de semblable que tu as travaillé de manière instinctive avec Simon, mais je crois que la gestion des joueurs est devenue plus difficile par la suite, et que tu en as oublié Simon. Un ultime rappel de son innocente vie déchiquetée aurait été génial ! Mais encore une fois, tu étais en pleine improvisation et c'est déjà pas mal de nous avoir fait suivre le petit Simon tout au long de notre périple.
Je dois dire maintenant un mot aux joueurs. Des petites blagues, au cours de la partie, on en a tous fait. C'est normal : le rire permet de nous protéger quand on est en situation de stress intense. Cela dit, dans le gymnase, ça m'a un peu pourri mon immersion les histoires de caca, c'est un peu too much, je trouve. Pour moi aussi, ce rôle est très difficile à jouer, et à certains moment, j'ai aussi, sans mauvais jeu de mot, un peu merdé. Mais là, le caca, c'est trop.
Si on pouvait se la jouer un peu plus sérieux la prochaine fois, ça serait cool.
La perte d'identité et l'arrivée au camp
Personnellement, je pense qu'on aurait dû être un peu plus humilié que ça, à notre arrivée au camp. C'est normal que tu n'aies pas pensé à tout, t'étais en pleine impro, encore une fois !
Mais en plus du numéro et des haillons, j'aurais aimé qu'on nous rase le crâne, qu'on ait un petit épisode où nos personnages se voient contraints de dire adieu à leurs effets personnels (je pense à Spinster et à son alliance, notamment, dernier objet qui le reliait à sa femme).
La terreur tournant autour du creusage de la fosse a bien été gérée. Tu nous as bien donner la sensation de creuser notre propre tombe. La vie dans le camp est difficile à jouer, j'ai apprécié d'écouter Fabrice dire que son personnage tremblait, pleurait ou encore entendre Spinster dire qu'il vomissait à la vue de cadavres. Les joueurs ont très tôt manifesté un instinct de survie individuel et non pas collectif. Dans un contexte de "marche ou crève", la solidarité semble difficile. Aussi, chacun a cherché à trouver des astuces pour asseoir un réseau de relations. Spinster, par la délation, s'est attiré la peur et la rancoeur des autres prisonniers, Fabrice a su tisser des liens avec des anciens membres de son quartier afin de réfléchir à une éventuelle évasion, Ace a préféré tisser des liens avec les vers de terre et quant à moi, dans l'espoir d'obtenir quelque ration supplémentaire, j'ai cherché à souder quelques déportés autour de moi par la prière.
Le plan d'évasion et la fusilladeDurant les quelques jours passés au camp, tu as bien su nous faire sentir la déchéance corporelle dont nous étions peu à peu victime (notamment au travers l'évolution de nos muscles suite à nos travaux), de même que tu as su faire planer sur nos têtes la menace de l'agonie. La vision des anciens déportés, squelettes ambulants aux yeux caves et dénués d'expression et de volonté, agissait sur nous comme un miroir nous renvoyant notre propre reflet si nous ne faisions rien pour nous échapper.
Petit à petit, l'espoir fugace d'une évasion est né : la théorie selon laquelle nous pouvions parvenir à nous échapper en profitant d'une brève panne de courant dans le camp, ôtant ainsi toute électricité du grillage nous a fait rêvé. Mais le problème est de savoir : comment réaliser une telle prouesse ? Chacun réfléchit de son côté, mon personnage espérant notamment voir quelques désespérés se jeter contre le grillage, histoire de faire disjoncter tout ça, allié à une éventuelle pluie.
Alors que nos forces physiques et mentales déclinent, une fusillade éclate, suite à une altercation entre Spinster et d'autres prisonniers. Une sacrée diversion que tu nous as offerte là...encore faut-il oser braver les balles qui fusent de partout et trouver un moyen de passer ce fichu grillage !
Ce scénario est intéressant car il nous stimule les méninges, tout en nous posant des problèmes moraux, des questions de survie auxquels nous sommes rarement confrontés dans un jeu de rôle, selon moi. Ta maîtrise est fluide, tu as su trouver un juste milieu entre le fait de guider les joueurs et de leur laisser une certaine liberté et ton interprétation des personnages sait se faire varier. Un bon avenir de MJ, selon moi. La partie s'est arrêtée en pleine action, j'attends beaucoup de la deuxième partie de ce one-shot, pour laquelle tu auras eu le temps de cogiter quelques petits retournements de situation.
Voilà, c'est tout ce à quoi j'ai pensé pour le moment, je reposterai si je pense à autre chose ! Merci pour la partie !
Fabrice et moi sommes pris le week-end du 21 car visite de famille mais perso, je suis prête à faire la suite n'importe quand.